À l’origine des parcs nationaux : les États-Unis
3 février 2023 | Écologie et solidarité
Par Marie Lagrave
Publié originellement dans le Plus #166 (Été 2021)
En 1872, alors qu’il n’est que très peu question de préservation de la nature en Europe, les États-Unis inventent, à Yellowstone, le concept des parcs nationaux. Des espaces naturels, protégés de l’exploitation humaine, qui appartiendront à la nation toute entière, et dont le peuple et les générations futures pourront jouir. Aujourd’hui, les États-Unis en comptent 63 (le petit dernier de la famille, New River Gorge, a été créé en 2020 !), assurant la protection de paysages fabuleux, d’une faune et d’une flore incommensurable. Le concept s’est ensuite propagé dans le monde entier, créant des milliers de parcs nationaux. Retour sur cette invention qui allie écologie et tourisme, ainsi que sur les conflits et contradictions qui émaillent son histoire.
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Les paysages américains, une fierté nationale
En 1776, 13 colonies du Nouveau Monde proclament leur indépendance contre la souveraineté britannique. Il s’agit, bien sûr, de la naissance des États-Unis, qui s’agrandiront par la suite en fédérant de nouveaux États jusqu’à former, au début du xxe siècle, le pays que nous connaissons aujourd’hui.
Rapidement, au sein de cette très jeune nation encore en formation, les intellectuels prennent conscience du caractère exceptionnel des paysages qui sont peu à peu découverts, notamment à l’Ouest. L’histoire des États-Unis se construit sur la conquête de ces immensités sauvages, et le fameux terme de “wilderness” devient un élément fondamental de l’identité américaine.
L’idée naît alors que la nature constitue un patrimoine au même titre que la culture, et que la majesté des paysages américains peut bien rivaliser avec la flamboyante culture européenne. Ainsi, Thomas Jefferson, rédacteur incontournable de la Déclaration d’indépendance, puis troisième président des États-Unis, déclare dès 1784 : “Si ce n’est sa culture, la nature de l’Amérique au moins doit faire l’admiration du monde”.
George Catlin, un peintre au secours de la nature
En 1842, George Catlin, peintre indianiste et ethnologue, publie le récit de 8 ans d’exploration de l’Ouest américain. Une partie de son ouvrage s’intéresse au sort des bisons des grandes plaines, menacés par la chasse intensive et le commerce de leur fourrure. Il y critique également l’exploitation des Amérindiens, payés en whisky par les colons pour tuer massivement cet animal qu’ils chassaient autrefois de manière traditionnelle – pour sa fourrure, mais également pour sa viande et même ses os, qui servaient à la fabrication d’outils.
Dans un souci de protection des bisons comme des populations autochtones, George Catlin réclame alors un “parc de la nation, contenant hommes et bêtes à la fois, dans toute la vigueur et la fraîcheur de leur beauté naturelle”. C’est la première fois qu’est formulée l’idée d’un parc préservant la nature et appartenant à la nation ; et cette définition jettera les bases de ce que deviendront ensuite les parcs nationaux.
Des premières expéditions à la création du parc national de Yellowstone
Dès le début du XIXe siècle, quelques trappeurs et chercheurs d’or s’aventurent jusqu’à Yellowstone, mais le récit qu’ils en font n’est perçu que comme divagations et fantasmagories par leurs contemporains : les paysages qu’ils décrivent semblent bien trop merveilleux pour être réels. Il faudra attendre 1869 et l’expédition Cook-Folsom-Peterson pour que la communauté scientifique ne commence vraiment à s’intéresser à la région. Les trois explorateurs, partis seuls, découvrent Yellowstone et tentent de cartographier l’endroit. À leur retour, c’est une autre expédition, bien plus importante, constituée à la fois de scientifiques, de militaires et d’entrepreneurs qui est envoyé corroborer leurs dires. Abasourdis par la beauté du lieu, ils seront les premiers à demander la protection de Yellowstone.
The Castle Geyser, Yellowstone National Park, de Thomas Moran © Amon Carter Museum of American Art, Fort Worth, Texas
Une troisième expédition est alors mandatée, financée par le gouvernement. Parmi ses membres, outre de nombreux scientifiques, on comptera Thomas Moran, un peintre – encore –, ainsi que William Henry Jackson, un photographe, qui ramenèrent de nombreuses images de Yellowstone et contribuèrent grandement à sa popularité. Ces tableaux et photographies furent d’ailleurs présentés au Congrès américain afin de faire accepter la protection de la région.
En 1872, le président Ulysses Grant signe le décret faisant de Yellowstone le premier parc national américain, un lieu “exempt d’exploitation mercantile, voué à la satisfaction du peuple”. D’autres initiatives de préservation des espaces naturels avaient vu le jour auparavant, aux États-Unis et ailleurs, mais jamais au niveau fédéral, jamais sur un territoire aussi vaste et sans jamais atteindre le degré de protection et de valorisation d’un parc national.
John Muir et la préservation à tout prix de la nature
Un autre homme apportera sa patte à l’édifice : John Muir. Écrivain, il est aujourd’hui considéré comme le père des parcs nationaux et l’un des précurseurs de l’écologie. Il passera une grande partie de sa vie à lutter pour la préservation des espaces naturels et joua un rôle essentiel dans la création du deuxième parc national des États-Unis, Yosemite, en 1890. Il lutta également par la suite activement contre la création du barrage de la vallée d’Hetch Hetchy, à l’intérieur du parc. Ses nombreux écrits servirent de base à la législation de tous les parcs nationaux des États-Unis.
Partisan de la sanctuarisation de la nature, il avait une conception très protectrice des parcs nationaux et, il faut le dire, quelque peu entachée de racisme. Afin de conserver une utopique nature vierge, jamais altérée par la main de l’homme, il tenta d’écarter toute activité humaine sur leurs sols. Ainsi, de nombreuses tribus amérindiennes se virent chassées des terres où ils avaient toujours vécu, déportés en périphérie des parcs, avec interdiction d’utiliser la moindre ressource naturelle à l’intérieur du périmètre protégé.
L’explosion du tourisme
Ces expulsions furent d’autant plus injustes que, parallèlement, de nombreuses infrastructures furent peu à peu mises en place afin de favoriser le tourisme. En effet, la vocation première des parcs nationaux a toujours été de permettre aux Américains de profiter de leur patrimoine naturel. La création des premiers parcs est de plus très liée à l’arrivée du chemin de fer transcontinental quelques années auparavant.
Les compagnies ferroviaires ont en effet financé de nombreuses expéditions qui ont mené à la création des parcs nationaux. Elles utilisèrent ensuite leur image afin de promouvoir leur propre activité par le biais d’affiches, de peintures, de photographies… qui vont, à leur tour, grandement populariser les parcs. C’est une véritable émulation qui se créée peu à peu autour des parcs nationaux, aujourd’hui encore non démentie.
Réservés aux élites dans un premier temps, ce sont aujourd’hui plus de 300 millions de visiteurs qui viennent les parcourir chaque année. Routes, parkings, chemins de randonnée, centres d’information – voire, dans les parcs les plus fréquentés, hôtels, restaurants et espaces de loisirs – seront peu à peu construits, parfois au détriment de la préservation de la faune et de la flore.
Entre préservation, tourisme et pédagogie : un équilibre difficile à maintenir
La réalité des parcs nationaux est multiple et complexe. L’accueil d’un nombre de touristes toujours croissant est un défi pour la préservation des espaces naturels mais c’est aussi un formidable outil pour faire prendre conscience de la beauté et de la fragilité de la nature. Depuis 1916, les parcs nationaux américains sont gérés par le National Park Service, l’accès aux parcs nationaux est payant (ce qui n’est pas le cas en France) et les entrées représentent une aide conséquente pour l’entretien du site.
Chaque parc possède au moins un centre d’information présentant sa faune, sa flore et ses spécificités géologiques. De plus, de nombreux rangers peuvent renseigner les visiteurs. Bien souvent, les infrastructures sont regroupées dans des zones spécifiques afin de concentrer le public et permettre une fréquentation moindre des autres espaces. La plupart des parcs comprennent même une zone, “wilderness area”, dont l’accès est strictement interdit au public. De manière générale, la visite des lieux est très réglementée afin de ne pas nuire à la faune et la flore – et gare aux contrevenants, l’amende risque d’être salée !
C’est là à la fois l’essence et le défi des parcs nationaux, non seulement aux États-Unis mais également dans le monde : maintenir un équilibre entre préservation, tourisme et pédagogie.
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